Le Lakhon Khol renaît de ses cendres - Seripheap
Le Lakhon Khol renaît de ses cendres

Le Lakhon Khol renaît de ses cendres

14 févr. 2019
Le Lakhon Kohl. Cet art est inscrit depuis le 28 novembre 2018 sur la Liste du Patrimoine Immatériel à Sauvegarder d'Urgence de l'UNESCO. Le spectacle théâtral masqué, créé au VIIe siècle dans le village de Taskor, reprend des couleurs depuis maintenant 14 ans sous la houlette de Marie-Claude et Hubert Macé de l'ONG Good Fun. Ceux-ci espèrent maintenant que la troupe exporte son art et accueille pourquoi pas à terme un public touristique pour monétiser cette activité. Le village de Taskor se trouve à 18 km de la capitale Phnom Penh. De l'autre côté du Mékong, en pleine campagne. Sur les rives du fleuve le contraste est saisissant. Tourner le regard vers la droite suffit pour apercevoir les imposants gratte-ciels du quartier de Koh Pich, bien que planté au milieu d'un hameau cerné d'eau, de forêts, et de champs. Ici se dresse la pagode Wat Svay Andet, littéralement des mangues flottantes, en référence aux nombreux arbres fruitiers du coin caressés par la montée des eaux lors des moussons. L'immense étendue de terre dédiée à ce temple religieux accueille également la maternelle et l'école de Taskor, ainsi qu'un édifice flambant neuf consacré à l'entraînement et la pratique du Lakhon Khol.
Le Lakhon Khol renaît de ses cendres
Le théâtre de Wat Svay Andet, dans le village de Taskor. ©PierreMotin

La renaissance

C'est dans la fraîcheur de l'arrière-pays cambodgien que réside depuis plus de 1300 ans cet art théâtral traditionnel khmer. Les troupes se sont même multipliées dans tout le pays après sa création. Mais cette longévité a toutefois été marquée de longues périodes de néant artistique. La première pendant ce que l'on appelle l'Âge Sombre du Cambodge, juste après la chute de l'Empire (début XVe) jusqu'au protectorat français de 1863. Le pays était acculé par les Siams qui ont attaqué à plusieurs reprises les théâtres accueillant les troupes masquées. Le Lakhon Khol s'est peu à peu essoufflé jusqu'aux appuis, au XXe siècle, du Roi Sisowath et plus tard, en 1948, de son petit-fils le Roi Norodom Sihanouk, venus tour à tour visiter le berceau de cet art traditionnel, à Taskor. Mais le pire, concernant l'entière intelligence créative cambodgienne, était à venir. Les Khmers rouges ont, entre 1975 et 1979, réduit au silence toute forme d'art ou de culture n'allant pas dans le sens de la propagande. Des survivants de l'Angkar qui sont peu après retournés à Taskor, leur village natal, ont tenté de redonner vie au Lakhon Khol. En 2005 Marie-Claude et Hubert Macé décident de créer l'association Good Fun pour aider le village à se reconstruire. « Je suis venu ici pour la première fois pour administrer des vaccins contre le paludisme à la population sur place, développe Marie-Claude. Nous nous sommes rendus compte que les enfants allaient à l'école du village mais ne disposaient pas du matériel minimum adéquat. Nous avons donc décidé de leur en fournir et nous avons directement été interloqués par le Lakhon Khol, ils le pratiquaient toujours à Taskor dans une salle sponsorisée par l'UNESCO au sein du village. Les artistes disposent aujourd'hui d'un nouvel édifice au coeur de la cour de l'école, tout proche de la pagode. » Avant l'arrivée des Khmers rouges, huit troupes de théâtre masqué se produisaient au Cambodge, puis seulement celle de Taskor, le lieu de naissance de cet art.
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Deux masques des géants du spectacle Lakhom Khol ©PierreMotin
L'UNESCO a en effet participé au renouveau des danses masquées en fabriquant également les instruments nécessaires à l'orchestre de la troupe. Avec un budget annuel de 130 000 euros, l'association Good Fun souhaite poursuivre le suivi financier de ce lieu. « Les artistes créent eux-mêmes leurs costumes. Aujourd'hui nous voulons dédier plus d'argent pour leur fournir de meilleures matières premières », concède Hubert, sortant les masques de l'étagère. Le théâtre, abrité d'un toit mais ouvert de toute part, ressemble à un préau et intègre le bureau du directeur de la troupe qui sert également de vestiaire et de dépôt pour les costumes.
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Le bureau du directeur où les danseurs se changent et où sont rangés les costumes. ©PierreMotin

Les singes à l'assaut des géants

L'art du théâtre masqué Lakhon Khol narre de nombreuses légendes folkloriques khmères. La plus connue est l'épopée sanscrite de Ramakerti, la version khmère de Ramayana, qui raconte le parcours de Râma l'un des sept avatars du dieu hindouiste Vishnu. Le spectacle, travaillé en ce début d'année par la troupe de Taskor, se déroule en trois étapes. Une séance de prières et d'offrandes sur fond de musique traditionnelle khmère interprétée par l'orchestre du groupe. Puis ce dernier est seul à tenir en haleine les spectateurs avant que les danseurs costumés et masqués n'entrent en scène. Dans la légende, le prince Râma est éperdument amoureux de Sītā, l'un des avatars de Lakshmi, la déesse de la fortune et compagne de Vishnu, cela va sans dire. Mais Sītā est subitement enlevée par le démon Rāvana et emprisonnée à Lanka, une ville-forteresse défendue par une armée de géants. Pour la secourir, Râma va s'allier avec le dieu Hanumān et son armée de singes. Un combat féroce éclate alors aux portes de Lanka entre les singes et les géants.
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Les géants ouvrent le bal...
Cette histoire est contée par les danseurs de la troupe. Les costumes et les masques différencient les singes et les géants. Les premiers sont des chorégraphes plus petits maniant à la perfection des poignards en bois, tandis que les derniers eux, plus grands, brandissent vaillamment de majestueux bâtons. La troupe de Taskor est exclusivement masculine. Sītā est interprétée par un garçon déguisé en avatar féminin pour l'occasion. À Wat Svay Andet, les rôles sont joués par des jeunes garçons de 9 à 15 ans issus de l'école mitoyenne, les musiciens et les professeurs de danse sont eux des adultes du village. Aujourd'hui, tout le monde se retrouve à 11 heures aux bords du théâtre pour admirer la représentation.
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... Très vite rejoints par l'armée des singes

L'école au service de l'art et de la culture

Une quarantaine d'élèves s'entraînent ce jour, avant la représentation, à l'intérieur du théâtre. Phat, le professeur du groupe des géants dispose d'une dizaine d'élèves âgés de 13 à 15 ans. Le groupe des singes est lui beaucoup plus fourni avec une trentaine d'enfants de 9 à 10 ans. Cette activité permet aux petits du village de s'aérer l'esprit et pratiquer une danse, il faut le dire, physiquement très contraignante. Les gestes doivent être répétés à la perfection. « Les mouvements du dos et de la tête sont primordiaux », explique Marie-Claude. Et pour ne pas laisser les filles sur le carreau, des entraînements de danse classique khmère sont également organisés quotidiennement dans l'espace éducatif.
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Phat enseigne aux jeunes pousses l'art des géants. ©MarionJoubert
L'école, l'art, et la culture forme un tout à Wat Svay Andet. Aujourd'hui, la motivation débordante de chaque acteur de ce système permet au village de ressentir les ondes positives passées et émanantes de cette culture ancestrale, longuement oubliée. Marie-Claude et Hubert souhaitent à présent que le village profite de leurs performances sensationnelles pour en vivre, monétiser la chose. L'exportation du spectacle pourrait être une option. L'accueil de touristes également. Attention toutefois aux dangers d'un tel développement qui pourrait entraîner la perte de cette âme d'apparence immortelle restée, malgré les catastrophes humaines, intacte durant treize siècles. Thibault Bourru

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